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CLIMATISME

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CHAPITRE IV
SOMMAIRE
1. TUBERCULOSE
2. CLIMATOTHERAPIE
3. COTE D’AZUR
 

1.TUBERCULOSE

Les climats chauds et l’english malady

  1. La villégiature “climatique” voit le jour devant la forte recrudescence de l’épidémie de tuberculose qui marque le XVIII° siècle. Ses principes reposent sur des conceptions médicales héritées de l’Antiquité, les médecins grecs ayant alors attribué l’absence de cette maladie en Egypte aux vertus de son climat sec et chaud. Le revival de ces conceptions s'explique par le contexte épidémiologique de la maladie, laquelle frappe tout d'abord quasi-exclusivement l'Angleterre. En révélant les profondes disparités régionales existant dans la répartition des maladies, le développement des études statistiques va apporter une caution scientifique à l’autorité des vieilles thèses hippocratiques.

Invalids et valétudinaires

  1. Guy de MAUPASSANT est l’un des adeptes assidus des séjours thérapeutiques azuréens. Il en a laissé une étonnante description, celle d’un « cimetière fleuri de l'Europe occidentale |…/…] Dans tous les coins du monde on doit la maudire cette terre charmante et redoutable, antichambre de la mort, parfumée et douce, où tant de familles ont laissé quelqu'un, presque toutes un enfant » 1 rapporte-t-il ainsi quelques années avant qu’il ne soit à son tour emporté par la « phtisie ». Aux antipodes de l’imagerie paradisiaque à laquelle nous sommes habitués, ce sombre tableau est bel et bien le reflet fidèle d’une triste réalité. Les premiers voyageurs qui fréquentent la Riviera sont pour la plupart de grands malades. Généralement qualifiés d'invalids ou de "valétudinaires", ils sont atteints de la tuberculose. C’est pour cette raison qu’ils viennent, comme le fait à ses dépens MAUPASSANT, expérimenter les vertus salutaires prêtées aux climats chauds par la littérature médicale de l'époque. Il est difficile d’établir une distinction précise entre les touristes et les invalids qui fréquentent alors la Côte d’Azur. Il faut tout d’abord prendre en compte la nombreuse domesticité et les amis ou les familiers qui accompagnent les hivernants. La grande confusion qui règne en la matière dans le monde médical, a par ailleurs créé une véritable psychose collective. Un simple rhume est ainsi considéré comme “phtisiogène”, comme toute maladie des voies respiratoires. Les médecins sont portés en conséquence à mettre en avant les vertus préventives de la “climatothérapie”. Ils vont même parfois jusqu'à conseiller aux jeunes mariés quelques années de séjour climatique, en compagnie de leurs enfants en bas âge, afin de prévenir une affection communément considérée comme une maladie héréditaire.

Des vertus des climats chauds

  1. La première mention connue des vertus du séjour climatique niçois remonte à la seconde moitié du XVIII° siècle. Elle est due au docteur SMOLETT, un médecin anglais atteint de troubles pulmonaires, probablement de la tuberculose, auquel un compatriote a vivement conseillé le climat de Nice : « que j’avais bien sûr souvent entendu vanter et où je pourrais profiter des bains, et il y a par mer une route directe pour l’Italie si jamais je dois tâter de l’air de Naples [rapporte-t-il à ce propos, ajoutant qu’il a aussi rencontré l’ancien gouverneur de la ville, lequel fait si grand cas du climat de Nice pour les troubles de la poitrine] que maintenant j’ai pris la décision d’y aller. » 2 Dans le récit de son séjour niçois, le docteur SMOLETT s’étonne de la curiosité que suscite alors la pratique du bain, dans le traitement des affections pulmonaires : « J’observe que les médecins de ce pays [ne prescrivent jamais] l’exercice et les bains froids » remarque-t-il à propos de la rusticité des infrastructures balnéaires locales et notamment de l’absence de cabines réservées aux femmes. Conquis toutefois par les bienfaits du climat niçois, lequel l’a débarrassé de sa fièvre, SMOLETT brigue vainement le poste de Gouverneur de la ville. Il se fixe en fin de compte dans la station climatique italienne voisine de Livourne, où il meurt quelques années plus tard. 3
  2. A la même époque, un voyageur français se fait à son tour le défenseur des qualités du climat niçois, estimant que  « même le climat de Naples n'est pas plus doux en hiver [et précisant que] Nice est depuis quelques années le refuge des étrangers que le froid et l’humidité incommodent, et il en est peu qui passent de France en Italie sans reconnoitre ce pays justement célèbre par la douceur du climat et la beauté de ses campagnes » 4 Dans les années suivantes, un touriste allemand, précise de même que : « On y jouit, pour ainsi dire, en hiver d’un printemps perpétuel |ajoutant que] un valétudinaire qui a besoin de respirer un air pur et sec, et de se tenir en exercice, trouvera à Nice pendant l’hiver tout ce qui lui est nécessaire. » 5 Un voyageur contemporain confirme quand à lui que: « Les maisons de campagne des environs de Nice sont peuplées d’Anglais, de Français, et d’Allemands […/…] Nice pendant l’hiver est une espèce de serre pour les santés délicates […/…] J’ai vu des Anglaises […/…] A leur arrivée elles mouraient; elles ont refleuri dans l’air de Nice. » 6 Un autre hivernant ajoute que « la ville de Nice est devenue depuis quelques années un séjour de délices par le nombre des étrangers qui s’y rassemblent chaque hiver ». 7 A cette époque, la station niçoise accueille seulement une centaine de familles de touristes, dont des hôtes de qualité comme le prince ORLOFF, accompagnant sa femme en villégiature thérapeutique entre Nice et Montpellier 8. Dans les décennies suivantes, la Riviera va connaître un essor fulgurant : « L’air salubre de Nice a toujours été considéré comme un (remède contre) les maladies de poitrine, des nerfs, de la consomption et de la phtisie. Les lettres n’oublieront jamais qu’elles lui doivent d’avoir ajouté quelques années à la vie du célèbre Thomas », peut ainsi écrire à la fin du siècle un voyageur français. 9

Les controverses

  1. Les vertus du climat azuréen sont toutefois loin de faire l'unanimité. L'état sanitaire de la région ne joue pas en la faveur de cette région arriérée, si l’on en croit par exemple le docteur SMOLETT, lequel relève la quasi-absence de médecins à Nice : « Ils sont onze en tout, mais quatre ou cinq doivent se déplacer pour pouvoir vivre de leur profession. Leurs honoraires se montent à dix sols (six pence) la visite et encore ont-ils du mal à les toucher. Vous voyez donc s’ils sont en mesure de soutenir la dignité de la médecine et si un homme qui a fait des études peut accepter de s’enterrer à Nice dans ces conditions. » 10 Au siècle suivant, le docteur FODÉRÉ, professeur de médecine légale à la Faculté de Strasbourg, va mettre directement en cause les prétentions “climatothérapiques” du pays niçois, avec la première étude médicale d'envergure consacrée à la région. Au terme de quelques cent cinquante pages extrêmement documentées, s'appuyant sur des enquêtes méticuleuses, FODÉRÉ n'admet ainsi la réalité des qualités prêtées au climat azuréen qu'en ce qui concerne l'absence de goutte, d'asthme et de rhumatisme. Il reconnaît cependant l'intérêt que peut présenter, pour des personnes malades ou convalescentes, la douceur d'un climat permettant toute l'année l'exercice quotidien d'activités de plein air, comme le bain ou la promenade.
  2. FODÉRÉ estime toutefois préférable, à climat égal, la situation de la station voisine de Hyères favorisée par son éloignement du littoral. Il ajoute cependant, se faisant l’écho des développements contemporains du climatisme dans la montagne des Alpes : « Pour le bien être que j'y ai éprouvé moi-même, une gorge de montagne, un vallon garanti des vents violents, orné d'une brillante verdure et de quelques bouquets de pins, visité chaque jour par un beau soleil et habité par de nombreux troupeaux, est l'endroit où l'on respire le plein air à son aise et où avec la paix de l'âme s'exécutent à notre insu et avec facilité les diverses fonctions auxquelles se rattache le principe de la vie ». Dans un long chapitre intitulé “Sur les migrations des phtisiques”, FODÉRÉ s’attache plus particulièrement à une critique des propriétés médicales attribuées au climat azuréen, en matière de traitement de la tuberculose. S'il prend acte de l'essor du voyage thérapeutique comme remède à cette maladie, il l'explique par contre du seul fait que les malades : « ne sont jamais bien dans le même endroit [et non par les vertus attribuées au climat] Les médecins ne doivent donc pas négliger cet instinct, mais il faut voir vers quel point plus propice il convient de les diriger », ajoute-t-il en dénonçant les effets de mode qui déterminent, selon lui, le choix des destinations climatiques. 11 FODERE n’est pas le seul à douter des vertus du climat de la Riviera. Le docteur James JOHNSON dénonce de son côté la nocivité que présente le soleil pour les patients atteints de la tuberculose. Ce médecin anglais, qui s’est intéressé au cours de ses voyages à l'influence des climats européens et méditerranéens sur la santé, estime comme FODÉRÉ que le voyage et la variété des paysages constituent, bien plus que le climat, un remède souverain contre une maladie qu'il attribue avant tout aux méfaits de la civilisation. 12

La concurrence

  1. Les réticences que suscite la vocation thérapeutique de la Côte, s'expliquent en partie par la concurrence des stations climatiques qui voient le jour, à la même époque, dans les régions méditerranéennes et alpines. Outre l’Italie, avec Merano, Trieste, Pise, Palerme, Gènes, Livourne, Naples, Rome et surtout Venise et les lacs italiens, la villégiature climatique se développe aussi dans l’ensemble du bassin méditerranéen, de Madère à l’Afrique du Nord et à l’Egypte, en passant par le Portugal et la montagne des Alpes. 13 Le docteur James CLARK place Rome loin devant Nice, quant à la douceur de son climat hivernal et printanier. 14 Le docteur CARRIERE, dont l’ouvrage fort documenté faisait alors autorité, se demande de même : « Nice mérite-t-elle la renommée médicale qu’on lui a faite ? [jugeant que] elle la mérite sous des réserves, pour les malades de tempérament scrofuleux qui ont besoin d’une action tonique sans cesser d’être douce ». 15 En matière de traitement de la tuberculose, CARRIERE recommande plutôt les stations italiennes. A son avis, elles offrent aux malades le précieux avantage de pouvoir passer l'hiver près du littoral et l'été dans les stations thermales de leurs montagnes. A l’inverse de la Riviera, défavorisée de ce point de vue, les lieux de séjour proposant ces commodités vont de Naples ou Salernes à Rome, Venise et aux stations du Piémont. Indépendamment de cette forte concurrence des stations italiennes et de l'état sanitaire déplorable de la région, les invalids sont pourtant de plus en plus nombreux à venir séjourner sur la Riviera, devenue  « l'une des stations les plus fréquentées pour la phthisie pulmonaire » comme le reconnaît malgré ses préventions le docteur CARRIERE. Cet engouement est redevable de plusieurs décennies de publications et de pratiques originales, lesquelles ont abouti, par leur caractère novateur, à asseoir la réputation de la villégiature azuréenne.

 

2. CLIMATOTHERAPIE

Les vertus du climat azuréen

  1. Malgré son éloignement des destinations traditionnelles du Voyage à l'Italie et son absence d'infrastructures balnéaires ou thermales, la Côte d'Azur s’affirme rapidement comme une station climatique de premier plan. Une littérature "scientifique" pléthorique est à l'origine de cet essor irrésistible. Son succès repose sur l’élaboration d’un argumentaire médical novateur et de pratiques thérapeutiques tout aussi originales. C'est au tout début du XIX° siècle que paraît la première étude médicale relative aux vertus sanitaires du climat azuréen. Publiée en latin, elle inaugure une riche production consacrée à établir la spécificité du climat de la Riviera dans le traitement de la tuberculose. 16 Tout juste âgé de vingt-trois ans, son auteur, le docteur DAVIS, vient d'obtenir son diplôme de chirurgien lorsqu'il part en France au service d'une famille de tourists. DAVIS profite de ce séjour dans le Midi de la France pour poursuivre ses études à l'Université renommée de Montpellier. De retour en Angleterre, il s'inscrit à la faculté de médecine d'Edimbourg, où il soutient son doctorat sur le thème de la phtisie. DAVIS rédige dans le même temps ses notes de voyage, lesquelles donnent lieu à la publication du premier guide destiné aux hivernants en séjour thérapeutique à Nice. Le climat de la Côte est déjà très apprécié pour ses vertus thérapeutiques, rappelle DAVIS, précisant qu'avant  « la Révolution en France, la célébrité du climat de Nice attira des étrangers de plus d'un pays d'Europe et que les autochtones bâtirent de petites fortunes avec les séjours des Anglais, Allemands, Russes, Polonais, Italiens, etc [lesquels] passaient six mois de l’année dans une place où les plaisirs d’une société agréable se joignaient à la douceur du climat, redonnant de la santé aux invalides. » 17 Se présentant fort curieusement sous l’aspect d’un guide, à la fois médical et touristique, le livre de DAVIS inaugure une longue série d'ouvrages auxquels il va servir de modèle. Son plan inclue ainsi une dissertation sur les vertus hygiéniques du climat, comprenant des tableaux météorologiques et des recommandations médicales sur la cure, allant de sa durée (2 à 3 saisons) à des conseils diététiques. Dans le même temps, il fait aussi une large part à la description de la région, avec des itinéraires de promenade, l'inventaire de la flore et notamment de la végétation exotique, ainsi que des éléments relatifs à son histoire (Antiquité et histoire médiévale, hommes célèbres), à ses coutumes, son dialecte et sa religion.

Les précurseurs

  1. L'ouvrage de DAVIS est suivi, quelques années plus tard, par celui d'un médecin niçois, le docteur RICHELMI. Composé de quelques quatre cent pages, ce dernier s'affiche comme un plaidoyer en faveur des qualités hygiéniques et thérapeutiques du climat niçois, en matière de traitement des différentes formes de phtisie. Il est .dédicacé à son confrère Matthias BAILLIE, « médecin extraordinaire de SM le Roi de la Grande-Bretagne [en hommage à ses] travaux précieux » 18 Le balnéarisme et la réhabilitation des vertus de l’air marin occupent une place secondaire dans le livre de RICHELMI, qui développe un argumentaire élaboré et novateur. Malgré leur caractère promotionnel clairement revendiqué, les arguments de RICHELMI reposent en effet sur un réel souci scientifique. Il s’efforce plus particulièrement de relativiser la portée des observations de son illustre prédécesseur, le docteur FODÉRÉ. RICHELMI s’appuie pour cela sur plus d'une centaine de tableaux, censés résumer une dizaine d'années d'observations méticuleuses portant sur les températures, l'hygrométrie, le régime des vents, l'étude comparative des causes de mortalité ou l'électricité du climat. Son ouvrage va servir de modèle à toutes les publications ultérieures sur le sujet. Au premier rang de l'argumentaire climatique de RICHELMI vient l'observation des températures (avec deux chapitres comprenant 19 tables et des tableaux comparatifs européens), des mesures d'hygrométrie (un chapitre), des mesures de “l'électricité de l'air” (un chapitre) et deux chapitres d’études statistiques intitulées “la pesanteur et la légèreté de l'air”. Ces derniers sont suivis de mesures similaires sur les vents et la pureté de l'atmosphère, une partie plus descriptive établissant l'absence de toute source de putréfaction susceptible de corrompre l'atmosphère de la ville et de la campagne environnante. Une vingtaine de pages est enfin consacrée à ce propos à la question des vertus de l'oxygène.
  2. Le second type d'arguments développés par RICHELMI concerne l'hygiène de la ville. Il occupe deux chapitres et porte sur la description des propriétés et de la pureté des eaux des sources niçoises, ainsi que sur celle des qualités hygiéniques de l'habitat. Si RICHELMI admet à ce propos l'insalubrité et le manque d'ensoleillement de la vieille ville, il la juge toutefois tempérée par un “flux d'air extérieur” salutaire. Il fait par ailleurs l'éloge de la nouvelle ville et de son architecture, prétendant à ce sujet que « les habitations de Nice [sont] du monde entier les plus propres au traitement de la phtisie pulmonaire. »  19 L’auteur signale aussi que depuis une quarantaine d'années, on a construit des cimetières et que l'on n'enterre plus les gens dans la fosse commune des églises. Une troisième partie de l'ouvrage de RICHELMI va devenir un classique de l'argumentaire climatique. Elle consiste dans la description des maladies répandues dans le pays, des principales causes de la mortalité, ainsi que des résultats des cures prescrites. Vu l'état sanitaire alors désastreux de la population niçoise, ces données occupent toutefois une place discrète.
  3. La quatrième catégorie d'arguments, forte d’une centaine de pages, concerne la description des beautés naturelles et paysagères de la ville et de sa région. RICHELMI est visiblement bien renseigné sur l'intérêt que les médecins anglais portent alors aux influences de “l'environnement” sur la santé. « {Les invalids, écrit-il à ce sujet] y jouissent de l'aspect riant de ses divers sites, de toutes ses belles vues et des parfums délicats de ses jardins et y goûtent des sommes extrêmement doux, au bruit sourd, lentement répété des vagues d'une mer paisible et aux accents mélodieux du rossignol qui habite ses rosiers. » La description des campagnes qui entourent la ville met en valeur la richesse et la diversité de ses productions végétales, sous la forme d'un calendrier des cultures d'une grande rigueur botanique, repris des travaux du naturaliste niçois RISSO. Comme chez DAVIS, le propos scientifique cède la place ainsi à un véritable guide touristique, décrivant les itinéraires des promenades sans manquer d'insister sur l’intérêt que présentent ses paysages et ses panoramas pour les peintres et les aquarellistes. Il s'agit là de l'une des occupations particulièrement recommandées dans la panoplie thérapeutique du climatisme. RICHELMI conclue par un essai “d'individuation” des sites qui va devenir systématique dans la littérature climatérique. La plaine niçoise lui parait de ce point de vue plus appropriée au traitement des maladies de type « inflammatoire chronique, [les pentes des collines étant préférables pour la phtisie] pulmonaire muqueuse ou scrofuleuse, [à cause de l’air plus pur et plus doux, de] la nature pierreuse du site, plus sec qu'humide » et de sa situation abritée des vents.

Les promoteurs

  1. Ces ouvrages vont impulser une abondante littérature, qui accompagnera l'essor des principales stations de la Côte d’Azur. On a ainsi dénombré plusieurs centaines de livres et brochures consacrés aux vertus salutaires de leur climat, dont les pages qui suivent présentent un bref résumé. 20 Cette abondante littérature est généralement l’oeuvre des médecins, autochtones ou étrangers, qui officient dans ces mêmes stations. Ils s’efforcent à la fois de démontrer l’efficacité des pratiques et des principes de la “climatothérapie”, ainsi que d’établir les qualités respectives et les spécificités thérapeutiques de leur climat : « Pour le médecin [nous apprend ainsi l’un de ces praticiens], la description d’un climat se compose de l’étude du sol, de sa configuration, de la nature des masses minérales qui constituent son organisation, des eaux qui l’arrosent, des végétaux qui y poussent spontanément et de ceux que l’art est parvenu à acclimater, des animaux qui peuplent ses campagnes, de l’air atmosphérique, de sa température, de l’intensité de la lumière solaire, des phénomènes météorologiques, enfin l’appréciation que ces choses exercent sur le physique et le moral de l’homme. » 21
  2. Malgré ces allusions à la géologie et à la géographie, censées attester de sa scientificité, l’argumentaire médical de la “climatothérapie” est en réalité des plus archaïques. Reposant pour l'essentiel sur les conceptions de la médecine hippocratique, la littérature “climatérique” est en fait plus proche de la pensée magique que de la science moderne. « [Il faut] faire pour les hommes ce que les jardiniers font pour les plantes [qui végètent, estimait ainsi l’un de ses promoteurs, c’est-à-dire leur donner] une exposition meilleure [et en hiver les mettre dans une] serre chaude bien éclairée. Toutes les maladies ayant pour résultat le refroidissement de l’organisme [ajoutait-il], le meilleur tonique c’est la chaleur, c’est le soleil. Les eaux minérales s’adressent toutes à une humeur ou à un organe déterminés. Les toniques, la lumière et le soleil [… /…] s’adressent à toutes les constitutions affaiblies par la maladie. » 22 Il faut cependant relativiser la naïveté apparente de ces propos, toutes les sciences ayant fait appel, au cours de leur « préhistoire », à un appareil conceptuel issu d’autres disciplines. Il en va de même pour la climatothérapie. Si elle ne fait guère avancer la médecine, elle contribue tout au moins aux progrès de la géographie et de la botanique et plus directement encore à ceux du tourisme. Dans la continuation du tour, qui a vu l'élargissement des centres d'intérêt des voyageurs à des destinations rurales, la climatologie s’efforce en effet d’investir ces nouveaux espaces par ses discours et ses pratiques. En permettant de renouveler durablement leurs représentations, elle va constituer le fil conducteur permettant rétrospectivement de comprendre l'unité d'un phénomène aux multiples visages.

L'english malady

  1. Si la tuberculose (ou "phtisie") arrive largement en tête des maladies censées relever de la "climatothérapie" et de la "villégiature thérapeutique", il est en fait difficile de se prononcer sur la nature exacte des pathologies que recouvre réellement cette dénomination. L’unité clinique de la tuberculose est en effet étrangère à la médecine de l'époque. Les manifestations du bacille de Koch se présentent effectivement sous des symptômes extrêmement variées, allant des affections pulmonaires à des atteintes osseuses, rénales, intestinales, génitales, méningées ou cutanées. Un grand nombre de ces localisations anatomiques de la tuberculose appartiennent donc davantage à la pathologie de l’organe intéressé. C’est ainsi que les tuberculoses extra-pulmonaires sont généralement considérées par les médecins comme des maladies distinctes. Les atteintes des ganglions cervicaux sont par exemple nommées “écrouelles” ou “scrofules” au Moyen Age, tandis que celles de l’intestin et du péritoine sont désignées sous le nom de “carreau”. Quant à la méningite tuberculeuse, elle n’est identifiée qu'au milieu du XVIII° siècle, comme les péricardites et leurs retentissements hépatiques. Le diagnostic de la tuberculose vertébrale ou des atteintes tuberculeuses des séreuses, confondues sous le terme générique “d'hydropisie”, relève de la même confusion. 23
  2. En matière de traitement de la tuberculose, les égarements de la médecine moderne sont plus particulièrement illustrés par la dénomination d'english malady. Le terme reflète exemplairement la complète ignorance dont fait alors preuve la médecine en matière d’épidémiologie. L’inégalité constatée dans la répartition de la tuberculose est ainsi à l’origine de l’opinion selon laquelle il s’agit d’une maladie héréditaire. L’épidémie a en effet atteint son acmé en Angleterre vers le milieu du XVIII° siècle, avec quelque soixante-quinze ans d'avance sur le reste de l'Europe. Les mêmes raisons ont aussi conduit à l’expliquer par des facteurs climatiques ou encore par l’effet des nuisances et des pollutions de la civilisation industrielle que l’Angleterre inaugure alors. La prédominance de la tuberculose pulmonaire, caractéristique des premières phases de la propagation de la maladie, ne fit qu'accréditer ce type d'explications. Connu dès l'Antiquité par les chinois, le caractère infectieux de la tuberculose a pourtant été avancé dès le XVI° siècle par un médecin italien, le docteur FRACASTORO. En Italie et en Espagne, ses thèses seront même à l'origine de mesures prophylactiques parfois sévères. Ces avancées significatives seront malheureusement battues en brèche par l'autorité de la tradition hippocratique et par la théorisation des vertus médicales des climats chauds. La nature contagieuse de la maladie n’est en fait admise qu’à la fin du XIX° siècle et non sans de fortes réticences. Malgré les preuves expérimentales apportées par Jean-Antoine VILLEMIN dès 1865, il faut ainsi attendre les travaux de Robert KOCHEN, qui identifie en 1884 le germe responsable de l'infection, le bacille de Koch (Mycobacterium tuberculosis), auquel il laisse son nom. 24 S'il est particulièrement néfaste à plusieurs générations de malades, ce triomphe de l'obscurantisme aura par contre des incidences plutôt favorables sur le développement du tourisme. Dans le temps où l'english malady part à la conquête du monde, la “climatothérapie” donne naissance à des infrastructures qui vont survivre durablement aux errements de leurs concepteurs.

 

3. COTE D’AZUR

Les stations azuréennes

  1. Les climatologues distinguent deux types de climats, le sédatif (tempéré et humide) et le tonique (plus changeant et plus sec), lequel passe pour constituer la spécificité de la Côte d’Azur. Fondée sur l'étude de leurs propriétés physiologiques, cette typologie oppose les climats où  « les échanges matériels y sont augmentés ou diminués, donc tonique (fortifiant) ou débilitant [à ceux où] le système nerveux y est excité ou calmé, donc stimulant ou sédatif. » 25 Ces critères sont censés déterminer le choix des destinations les plus adaptées à l’état des malades. Ils retiennent de ce point de vue toute l’attention des promoteurs du climat azuréen. Ces derniers affirment ainsi qu’un séjour prolongé dans un climat de type « sédatif », comme par exemple celui de Madère, a pour inconvénient majeur de rendre impossible le retour du patient dans son pays d’origine. Ce n’est pas le cas, affirment-ils, du climat « tonique » de la Côte du fait de ses variations quotidiennes de température. Certains font preuve de plus de subtilité, en prétendant que le climat de la région réunit l’ensemble de ces qualités. A l’appui de leur argumentation, ils divisent le territoire de la station en trois zones distinctes. Le bord de mer leur semble plus particulièrement recommandé pour les caractères lymphatiques et les constitutions scrofuleuses, pouvant ainsi concerner à la fois les enfants, les vieillards et surtout les phtisiques, à cause de son climat excitant du à un air sec, vivifiant et tonique. Plus humide, la ville nouvelle et les collines sont qualifiées de sédatives et jugées presque équivalentes aux climats de Pau, de Pise voire de Madère. Quelques vont jusqu’à ajouter à cette nomenclature une zone « mixte », soumise selon les expositions à une combinaison de ces influences. 26

Les stations historiques

  1. Sous l’influence de ces arguments et de l'activisme éditorial de leurs promoteurs, 27 Nice devient rapidement la principale station touristique de la Côte. Entre autres personnes de qualité (la liste en serait fastidieuse), on retiendra le séjour thérapeutique du tzarevitch Nicolas qui connaît une issue tragique. Le prince héritier est enterré sur place dans un somptueux mausolée. L’essor des cimetières azuréens va accompagner de manière générale celui de la “climatothérapie”, sans pour autant remettre en cause la croyance dans son efficacité. Servie par la proximité de Marseille, Hyères est la principale rivale historique de Nice en matière de climatisme. Elle compte ainsi jusqu’à 1500 familles d’hivernants. 28 La station phare de la Provence ne donne cependant pas naissance à une littérature climatique comparable à celle de la capitale de la Riviera. 29 Il est vrai que les vertus de son climat sont établies depuis longtemps. Elle possède ainsi la réputation d’être  « la meilleure cure française pour les poitrinaires [selon le docteur Edwin LEE dont l’ouvrage affiche en couverture ses titres de] membre de plusieurs académies et sociétés médicales [et d’auteur d’une étude traduite d’un mémoire] récompensé par une société médicale américaine ».
  2. LEE justifie l'intérêt de sa brochure par l'absence de “guide à l’usage des hivernants”. Elle se partage entre la description des principaux itinéraires de promenade et celle du climat, des températures et de leurs variations L’auteur recommande par exemple d'améliorer l’état des routes et de pallier l’absence de “promenades abritées”. Dans le même temps, il s’attache à l’étude climatique du territoire de la ville, qu’il divise en trois zones. Ces distinctions lui semblent essentielles, d'un point de vue thérapeutique, afin d’adapter le lieu de cure à l’état du malade, notamment lorsqu’il souffre d’insomnies ou si son état change en cours de saison. En matière climatérique, le docteur LEE estime que Hyères offre des vents moins capricieux qu’à Nice, un air plus sec et un climat généralement moins excitant. Les climats du type "hyérois", modérément chauds et secs, lui paraissent plus particulièrement appropriés aux tempéraments lymphatiques ou scrofuleux, ainsi qu’aux états se traduisant par une circulation ralentie, la pâleur ou l’anémie. Ils les déconseille par contre dans les cas de tempéraments sanguins, excitables ou nerveux et de maladies aiguës ou chroniques, avec fièvre ou excitation vasculaire ou nerveuse. 30

Les nouvelles stations

  1. Le succès que connaît la villégiature thérapeutique conduit rapidement ses promoteurs à investir l'ensemble du littoral azuréen. La première de ces nouvelles destinations est un petit village de pêcheurs, situé au voisinage de la frontière entre Nice et la Provence, alors fermée à la suite d'une épidémie de choléra. Parmi les hivernants contraints à séjourner dans la future station cannoise, se trouve un voyageur de qualité, en route vers Naples en compagnie de sa fille atteinte de la tuberculose. Séduit par les charmes de la région, Lord BROUGHAM s’y fait construire une villa, à laquelle il donne le nom de sa fille et dans laquelle il se rend dès lors chaque année en villégiature. BROUGHAM va largement contribuer par sa notoriété au lancement de la nouvelle station auprès de ses compatriotes. Il convainc notamment Sir Herbert TAYLOR, accompagnant lui aussi sa fille malade en Italie, des vertus médicales de son climat, de même que Sir Temple LEADER qui effectue sous sa recommandation une cure thalassothérapique à Cannes. Les médecins 31 vont vite prendre le relais : « Sous le rapport de la pureté, de l’éclat du ciel et de la sécheresse de l’atmosphère pendant la nuit, le bassin de Cannes n’a pas son pareil sur les côtes européennes de la Méditerranée. Il semble vraiment que cette résidence ait été créée tout exprès pour les poitrinaires [écrit ainsi le docteur SEVE, ajoutant que l’effet de l’air pur et tonique est renforcé par les] émanations balsamiques [des forêts de pins] ». 32
  2. Parmi les invalids illustres qui fréquentent la station cannoise, on retiendra l’écrivain Prosper MERIMEE, atteint d'une affection pulmonaire et de crises d'asthme ou la tragédienne RACHEL, soignant sa tuberculose par des promenades en barque, lesquels décèdent au cours de leur séjour. En 1867, la villégiature cannoise recense quelques 600 familles d'hivernants et près de 1500 en 1878, dont une importante colonie russe que consacre le séjour thérapeutique de l'Impératrice Marie Alexandrovna, accompagnée d'une partie de la cour. Dès lors, le climatisme cannois connaît un grand développement et la station prend place dans tous les guides à l'usage des hivernants. 33 L’essor de la villégiature climatique est tout aussi important dans la ville voisine de Menton, 34 sous l’influence de l’un des pionniers du climatisme, le docteur CARRIERE. Malgré sa prévention affichée envers les vertus thérapeutiques de la Côte d’Azur, il fait l’éloge de son climat à l’humidité modérée, chaud et tempéré, offrant peu de variations, une belle végétation, de beaux paysages et permettant selon lui un séjour allant de l’automne au printemps, voire même l’été dans les villages environnants : « La phthisie et les affections chroniques avec exaltation de la sensibilité et de la douleur trouveront un climat excellent dans les campagnes de Menton, la phtisie surtout » précise-t-il explicitement. 35
  3. En quelques décennies, la station se dote d'infrastructures thérapeutiques de qualités : « Les promenades, les abris, les hôtels, les villas y sont aménagés pour [les phtisiques] » rapporte à ce propos le docteur WARLOMONT, à la fin du siècle. 36 Ce succès est redevable d’une riche littérature médicale, initiée par le docteur James Henry BENNET. 37 Par l’autorité de ses écrits, relatifs à l’ensemble des stations climatiques méditerranéennes, ce médecin britannique est le principal artisan de son développement, au cours des vingt ans de carrière qu’il consacre à l’étude des propriétés thérapeutiques de son climat. A la même époque, le docteur FARINA, médecin honoraire de la ville, rapporte qu’il a  « eu l’honneur de connaître personnellement les deux premières familles qui, il y a vingt-cinq ans, se sont décidées à hiverner [à Menton] uniquement sur l’autorité du docteur Carrière, dont le livre leur avait indiqué ce charmant petit coin de terre. Les deux malades de 1852 eurent bientôt de nombreux imitateurs. La nation anglaise plante ses jalons sur ce site enchanteur. Elle y établit un temple comme point de réunion et dès lors les bases d’une nouvelle station hivernale furent jetées. » Auteur d’une dizaine d’ouvrages sur la climatologie de la station mentonnaise, FARINA n’hésite pas à individualiser les propriétés de son climat quartier par quartier, signalant par exemple tel hameau de la commune, décrit « comme tout spécialement favorable pour les malades qui recherchent les zones à influence calmante et sédative. » 38

La Riviera italienne

  1. A Cannes comme à Menton, les premiers développements du climatisme bénéficient de la proximité de la station niçoise. Rapidement, le mouvement va s'étendre à l'ensemble du littoral azuréen, indifférent aux frontières qui divisent alors la région entre trois états, la France, l'Italie et la Principauté de Monaco. Cet essor de la villégiature climatique est particulièrement important sur la Riviera italienne. « Si vous êtes déjà avancés en âge et que vous aimiez encore vivre [… /…] sans toutes les misères de la décrépitude ? Dans ce cas prenez vite votre sac de voyage et partez pour Bordighera » écrit ainsi le docteur DEPRAZ se faisant l’écho de l’engouement que suscite alors la petite station italienne. 39 Le tourisme thérapeutique se développe très tôt à Bordighera. On a déjà évoqué ses premières mentions, au travers de l‘œuvre romanesque de Giovanni “John” RUFFINI 40. Dans ce livre écrit en anglais, dont l’action prend place dans les années 1840, l’auteur met en scène une jeune britannique en séjour thérapeutique, tombant amoureuse de son médecin. Parmi les hivernants de qualité qui font la réputation de Bordighera, on relève à nouveau l’Impératrice russe Marie Alexandrovna ou encore le chef de file de l’architecture française Charles GARNIER, lequel accompagne son fils atteint de la tuberculose. 41
  2. La ville voisine de San Remo devient de même, à la fin du siècle  « la principale station hivernale du Golfe de Gènes [selon le Guide Simons précisant que] son développement pendant les dernières années a été très rapide. San Remo ville de saison date de 1860. » 42 L’un de ses principaux promoteurs est un médecin italien, le docteur PANIZZI. Dans le guide climatique de la ville, qu’il présente au Conseil Sanitaire de Londres, il insiste particulièrement sur les qualités de ses plages. San Remo connaît effectivement un réel succès en matière de balnéarisme, dont on trouve la confirmation dans la liste que publie le docteur ONETTI des maladies traitées dans la station, classées par saison et mortalité, avec un comparatif concernant la Côte et l’Europe 43 : « L’air est à la fois très balsamique, limpide et exhilarant, et curieusement absent de poussière [précise à la même époque un curiste anglais déçu par le climat de Nice] dans l’espoir que d’autres malades puissent tirer profit de [son] expérience. » 44 Les  tentatives de lancement de nouvelles stations ne rencontrent pas toujours le même enthousiasme. Malgré l’ampleur des investissements et la qualité de ses aménagements, la station voisine d’Ospedaletti en offre un bon exemple : « En 1860, le docteur KAREL, médecin de SM l’Impératrice de Russie qui avait été chargé de rechercher sur le littoral de la Provence et de la Ligurie la localité la plus chaude et la plus sûre, désigna à sa souveraine Ospedaletti » nous apprend ainsi le Guide SIMONS. 45 On peut de nos jours contempler les ruines majestueuses de cette expérience sans lendemain.

La Riviera française

  1. Le climatisme eut tout autant du mal à s'affirmer en ce qui concerne la Principauté de Monaco. Sa vocation thérapeutique souffrit assurément des sévères réserves du docteur CARRIERE, jugeant son climat favorable au seul traitement des maladies intestinales et estimant qu’elle « ne pourrait être favorable à la phtisie pendant l'hiver. Il n'est guère possible [ajoutait-il] qu’elle puisse le devenir pendant l’été, malgré les témoignages de la pratique locale » qu’il n’hésitait pas à qualifier de “mercantilisme”. 46 L’essor touristique de la Principauté est tardif. Il repose sur la mise en œuvre  d’importantes infrastructures balnéaires, impulsées par l’ouverture du Casino de Monte-Carlo et de la Société des Bains de Mer. Les promoteurs du tourisme thérapeutique rencontrent des difficultés analogues sur la côte provençale, dont le climat est jugé néfaste car trop exposé aux influences du vent. L’étude des qualités de l’air domine en effet la littérature climatologique, suite à l’importance qu’occupent alors les affections respiratoires en matière de tuberculose. Les médecins dénoncent ainsi les dangers de refroidissements que peut provoquer le vent, les infections thoraciques étant réputées « phtisiogènes » pour peu qu’elles se prolongent plus de quelques semaines. Evoquant les effets d’une mauvaise alimentation dans le développement de la tuberculose, les docteurs ne manquent pas de rappeler par ailleurs que « l’air est le principal aliment. » 47
  2. Le rôle des vêtements est de même dénoncé, lorsqu'ils entravent les fonctions respiratoires, ainsi que l'inhalation de poussières entraîné par l’exercice de certaines professions, la pollution atmosphérique ou encore le milieu urbain en général. Ces conceptions vont nuire fortement à la réputation climatique de l'ensemble de la Provence, à l'exception de Hyères et de Cannes, protégées du violent Mistral et de son influence néfaste par leur situation abritée. Le climatisme s’efforce cependant de développer son réseau de villégiatures sur l’ensemble du littoral. Le docteur BERGERET cherche ainsi, sans grand succès, à promouvoir les vertus du climat d’Antibes. Il rédige à ce propos un guide médical original, faisant une large place à l'histoire de sa propre guérison. BERGERET est en effet venu sur la Côte pour un séjour thérapeutique, avec sa femme et des amis eux aussi malades. Il s’agit d’un ouvrage beaucoup plus intimiste que celui de ses confrères, même s’il reprend l'argumentaire classique de la climatologie, avec une description des vents, des eaux, du sol, du relief et des températures. Suite au succès de son séjour, BERGERET n’hésite pas à affirmer qu’Antibes est  « la station que je mets à la tête des stations hivernales françaises […/…] Elle réunit toutes les conditions hygiéniques désirables, ce qui ne se rencontre dans aucune autre station. » 48
  3. Une nouvelle étude climatérique, plus classique, est publiée dans les années suivantes. Son auteur s’attache à démontrer que  « Antibes convient surtout aux enfants de constitution lymphatique ou scrofuleuses et à la tuberculose [ainsi que pour] les vieillards et les valétudinaires [et] les maladies chroniques à peu d’exceptions. » 49 La villégiature antiboise n’entre pas pour autant dans le gotha des stations recommandées par les ouvrages de climatologie. Elle offre cependant, dans les dernières décennies du XIX° siècle, une soixantaine de villas et de châteaux à la location, ce qui laisse penser qu’elle dut connaître une relative fréquentation. Il en est de même pour l’ensemble des petites villes de la Côte, dont la villégiature assure à la même époque le développement, sans toutefois donner lieu à des réalisations majeures. On pourrait ainsi citer le lancement de Beaulieu-sur-mer, auquel contribue l’architecte Gustave Eiffel,  50 ou encore celui Saint-Raphael, sur la côte varoise, du à l’écrivain Alphonse KARR. De l’avis du docteur AUD’HOUI, médecin des eaux de Vichy, il s’agit d’une  « station médicale de premier ordre [du fait que son atmosphère se charge] des effluves odorants fournis par les deux kilomètres d’essences résineuses [que le vent] traverse, se dépouillant sur son parcours des principes salés charriés du littoral et devenant de la sorte très doux], et que les bananes y mûrissent ! 51 La station de Grasse est apparemment la seule de ces tentatives climatériques à connaître un certain succès, du à la fois à l’exotisme de ses campagnes, consacrées à la culture des plantes à parfums et à son relatif éloignement du littoral. Comme le rapporte le docteur Burney YEO, « le climat de Grasse semblerait spécialement utile aux malades des poumons ou des nerfs |du fait qu’il offre à la fois les avantages du climat marin de la Côte et de celui de la montagne en bien moins rigoureux] ». 52
  4. La villégiature thérapeutique connaît aussi des développements significatifs sur le littoral voisin de la Corse 53, ainsi que dans la montagne des Alpes et en Italie où des stations de premier plan voient le jour. Impulsé par ces réalisations emblématiques, le modèle de la station “climatérique” va désormais se diffuser très largement, tout au long du XIX° siècle, dans l’ensemble de l’Europe du sud et du monde méditerranéen. Le tourisme moderne voit le jour, avec ses infrastructures originales qui survivront à la climatothérapie et donneront sa physionomie actuelle à cette institution majeure de la modernité.