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PATRIMOINE

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CHAPITRE VII
SOMMAIRE
1. PATRIMOINE
2. OSTENTATION
3. SCIENCES SOCIALES
 

1. PATRIMOINE

Territoires et identités

  1. Le tourisme est généralement perçu comme une institution futile. Cette représentation commune est loin de rendre compte des multiples influences qu’il exerce sur nos modes de vie : « les signes du voyage imprègnent sans cesse davantage notre vie de tous les jours, [tandis} que des gestes et des pratiques issus du nomadisme vacancier infiltrent la société sédentaire et ses discours » 1 rappelait récemment un historien du tourisme. L’apparition des « vacances » est par exemple un phénomène majeur, par sa remise en cause de la notion traditionnelle de travail. L’impact du tourisme et de ses représentations concerne plus spécifiquement encore les fondements traditionnels des cultures et des civilisations aux sources de la définition des identités. Ces influences s’expliquent notamment par les rapports entretenus dés l’origine par le tourisme, avec la naissance des politiques patrimoniales qui ont envahi à présent l’ensemble de la sphère sociale.

Un théâtre de la mémoire

  1. Comme nous allons le montrer, les pratiques impulsées par le tourisme recouvrent l’ensemble du champ du patrimoine, de l’inventaire des monuments historiques à leur mise en scène, en passant par les collections, les cabinets de curiosités et l’apparition des premiers musées, les descriptions naturalistes ou pittoresques des paysages ou les recherches à caractère anthropologique de la littérature de voyage. Ces pratiques reposent en fait sur un procédé analogue, fondé sur un même souci ostentatoire, lequel consiste à nier la réalité dont elles sont issues afin de produire des représentations signifiantes de la nature ou de l'identité historique d'un terroir, d'une ville ou d'une nation. 2 Ce « théâtre de la mémoire » est devenu le lieu privilégié de la réactualisation d’une culture, par son aptitude à produire du sens à partir des éléments empruntés au monde qui l’entoure. Bien qu’il en soit aujourd’hui le principal acteur, l’apport du tourisme à l’élaboration de la notion  de patrimoine est toutefois rarement mentionné. 3 Il a en fait été éclipsé par l’institution muséale, laquelle est effectivement à l’origine de ce terme, visant à rassembler l’ensemble des monuments, objets ou lieux à caractère artistique sous une même dénomination.
  2. Dans l’esprit de ses concepteurs, l’emprunt d’un terme juridique voulait avant tout souligner leur dimension commune d’héritage collectif. Ce label s’est toutefois élargi désormais à un vaste ensemble de pratiques sociales, s’éloignant de sa définition originelle au point de devenir une notion difficile à cerner, matérialisée dans des objets comme dans des traditions, mais aussi dans des sites, des paysages voire même des êtres vivants. On reconnaît là, sans trop de peine, l’influence de la littérature climatérique et des principales rubriques des guides touristiques. L’invention du terme de patrimoine consacre en effet des évolutions bien plus anciennes, dont l’histoire se confond avec celle du tourisme et de ses plus lointains antécédents.  4 Présente dans l’Antiquité comme dans les sociétés primitives, la conscience patrimoniale relève d’une institution universelle, celle de la filiation et de la généalogie. Expression des liens unissant les vivants et les morts, elle se matérialise généralement dans des objets ou des symboles, allant de la sépulture aux rites funéraires, en passant par les objets cultuels et les archives écrites ou orales. 5 On peut suivre au fil des siècles, l’histoire des pratiques fondatrices de l’inventaire, de la collection, de la conservation et de l’ostentation qui vont lui donner sa forme moderne. Elles entretiennent d’étroits rapports avec la villégiature. L’histoire du patrimoine représente, de ce point de vue, le fil directeur qui permet de comprendre l’originalité des influences exercées par le tourisme sur le monde contemporain.

Le gout des antiquités

  1. Aux alentours de 1750, sous l’influence du tour, paraissent les Antiquités de Rome de Joachim DU BELLAY, suivies du Compendio di Roma antica de Lucio FAUNO et des Antichita di Roma d'Andrea PALADIO. A la même époque, le comte de CAYLUS publie son Recueil d'Antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises, suivi des Ruines des plus beaux monuments de la Grèce de LEROY, puis du Voyage pittoresque de la Grèce du comte de CHOISEUL-GOUFFIER. 6 Ces guides antiquisants vont rapidement donner lieu à de véritables opérations d’inventaire, au sens contemporain du terme. Les descriptions architecturales des monuments romains sont aussi à l’origine de l’idée de musée, avec les 23 volumes illustrés du Museo Cartaceo (le musée de papier), auxquels aurait contribué le peintre Nicolas POUSSIN. 7 La notion de patrimoine va dès lors être dominée pour longtemps par la seule prise en compte de la valeur historique des monuments et des architectures. Cet attrait marqué pour le patrimoine monumental et les sites archéologiques conduit par ailleurs à leur étude ou plutôt, dans un premier temps, à leur déchiffrement. Le goût antiquisant mène ainsi les premiers tourists sur les traces de Virgile, avec l'Enéide pour guide, ou sur celles d'Horace, de Cicéron, de Sénèque et de Pline. 8 Il va cependant falloir près d'un siècle de tourisme érudit, avant que l'on commence véritablement à porter un regard critique sur les textes antiques.
  2. Les voyageurs savants qui parcourent la « Grande Grèce », se livrent ainsi à la seule recherche des sites mentionnés par Pausanias, ignorant les riches informations fournies par les vestiges qu’ils découvrent dans le même temps. L'archéologie moderne ne voit vraiment le jour qu’avec les fouilles d’Herculaneum, en 1748, suivies par celles de Pompei et par l'essor contemporain des voyages en Grèce. C’est alors qu’émerge une démarche scientifique autonome, fondée sur l'étude des témoignages matériels des civilisations. Les principales préoccupations de l’archéologie datent de cette époque, qu’il s’agisse du souci du témoignage matériel ou de celui de la sépulture. Illustré par d’éminents auteurs comme Walter SCOTT, Michelet ou Mérimée, l'intérêt que vont porter les romantiques aux vestiges du passé, relève des mêmes influences. 9 Ce souci de l’érudition historique est particulièrement illustré par les ouvrages de COCHIN, DE BROSSES, DUPATY, DE MONTFAUCON, WINCKELMANN ou encore par l’Abbé BARTHELEMY 10. Ce tourisme savant va aussi favoriser l’émergence des préoccupations encyclopédiques, qui s’illustrent plus particulièrement chez ROYER, RICHARD ou encore LALANDE 11. En retour, l’encyclopédisme va contribuer significativement à l’essor du tourisme, par la diversification des centres d'intérêt des voyageurs qu’il impulse.

Inventaire et conservation

  1. Les touristes vont trouver un relais efficace auprès des élites locales, autour des mises en scène du territoire qu’ils impulsent, dans un jeu de miroir caractéristique des processus identitaires. En France, les préoccupations patrimoniales s’institutionnalisent ainsi, dès 1840, lors de la campagne de protection des monuments historiques animée par deux passionnés du voyage d'agrément, Victor Hugo et Prosper Mérimée, adepte par ailleurs du voyage thérapeutique. Elle donne naissance, en 1913, à la loi de conservation des Monuments Historiques qui annonce la notion moderne de patrimoine. En stipulant que le monument est inséparable d'un contexte paysager, dont rend bien compte la dénomination "Monuments et Sites", elle permet en effet l'évolution du simple recensement à une vision historique plus large. La protection des Monuments Historiques vient ainsi consacrer la muséalisation du territoire initiée par les mises en scène théâtrales du tour. L’influence du tourisme se manifeste plus particulièrement au travers du renouveau de la représentation des espaces urbains et des conceptions paysagères de l'urbanisme qui accompagnent cet intérêt porté aux monuments et aux sites. Ces dernières se fondent en effet sur le marquage de l'espace de la ville par l'érection de monuments et d'éléments architecturaux à caractère monumental, lesquels se veulent autant de témoignages de son passé. Au cours du XIXe siècle, les centres historiques des villes deviennent le souci principal des urbanistes.
  2. Rejoignant le prospect des touristes, on décide alors d’ouvrir l'espace urbain à des perspectives paysagères par le tracé de grandes avenues. On établit de même une hiérarchie des critères architecturaux en fonction de leur dimension signifiante. Tout d'abord limité aux grandes capitales et à l’aménagement de leurs centres historiques, le mouvement va s’élargir au cours du XXe siècle en direction des villes de province, des campagnes et des villages, servi par les progrès de la cartographie et l’activité des sociétés savantes. Ces pratiques ostentatoires donnent plus particulièrement naissance à l'édification généralisée de monuments commémoratifs, visant à inscrire l'histoire nationale dans l’espace vécu. Le tourisme savant apportera une impulsion déterminante à la diffusion de ces mises en scène avec ses descriptions systématiques des monuments remarquables, lesquels demeurent un aspect incontournable de l'image d'une région, et par là même l’un des fondements de son identité. Leur élargissement est plus particulièrement illustré par le genre d’inventaires patrimoniaux initiés au début du XX° siècle par l'Académie Celtique, avec un relevé systématique des pierres monumentales de l’Ouest de la France. Ces représentations stéréotypées de monuments et de sites historiques ou naturels ont conduit à un véritable balisage des paysages naturels et urbains, qui tend aujourd’hui à s’étendre à l’ensemble du monde. Les guides touristiques en sont l’un des principaux ambassadeurs.

Panorama et territorialité

  1. La dimension identitaire des représentations paysagères issues du tour s’exprime plus particulièrement à travers l’attachement dont font preuve les tourists envers les points de vues dits "panoramiques", le prospect des Anglais. Cette institution toujours bien vivante prend ses sources au tournant du XVIIe siècle, avec l’apparition des représentations topographiques destinées à arbitrer dans les conflits de délimitation du territoire des communes ou à montrer la qualité d’un bon gouvernement. C’est là un premier indice de sa nature identitaire. Le Journal de voyage de MONTAIGNE révèle, à la même époque, l’intérêt que leur portent déjà les voyageurs. Il décrit ainsi les panoramas du lac de Garde, de Portofino ou encore de Livourne, où il précise être monté sur une colline pour contempler la mer et les îles, ainsi que ceux de Florence, du Tivoli ou de Rome, vue de la colline du Janicule. 12 Ce renouveau des représentations doit beaucoup aux développements du tourisme dans les montagnes des Alpes. Lorsque MONTESQUIEU s’efforce de théoriser l’intérêt que le peuple des voyageurs attribue alors à la contemplation d’une ville d’un point élevé, il avance le fait qu’une vue perspective permet d’en saisir l’ensemble avant les détails : « Quand j’arrive dans une ville, je vais toujours sur le plus haut clocher ou sur la plus haute tour, pour voir le tout ensemble, avant de voir les parties. Et en la quittant je fais de même pour fixer mes idées. » 13 Diderot estime lui aussi que « [à peine] arrivé dans une ville, [il faut monter] sur quelque hauteur qui la domine, car c’est là que par une application rapide de l’échelle de l’œil, vous prendrez une idée juste de sa topographie. » 14
  2. Les villes se dotent dès lors, sous l’influence des voyageurs, de points de vue panoramiques dont la mention devient une rubrique obligée de tous les guides touristiques. Cette surprenante invention d’une cartographie à l’échelle du territoire va donner lieu, au cours du XX° siècle, à la mise en place des premières tables d’orientation, une institution touristique aujourd’hui incontournable. Derrière l’intérêt qu’il porte au panorama, le tourisme révèle les enjeux de l’entreprise paysagère qu’il impulse. Le nouveau regard qu’il impose, s’oppose en effet à l’espace vécu des sociétés traditionnelles, fondé sur l’itinéraire ou plutôt sur l’itinérance. L’invention du paysage dévoile ainsi sa dimension de stratégie urbaine. Elle participe en effet d’un mouvement plus large de dépossession de l'espace agraire, qui vise à effacer la trace de l’agriculture dans le paysage. Il correspond à l'exode massif des populations rurales qui accompagne alors les progrès de l’industrialisation. Cette dimension sociale du processus paysager repose sur un même procédé, fondé sur la décomposition des éléments constitutifs de l'espace agraire. Il s’accompagne, sur un mode romantique ou exotisant, d'une négociation et d'une réappropriation par les autochtones, des représentations auxquelles il a donné naissance. 15 Sur la Côte d’Azur, l’horticulture offre un exemple typique de ces synergies, avec la mise en œuvre par la villégiature d’une agriculture « moins agricole », parce que tournée vers des productions non plus alimentaires mais d’agrément. En redéfinissant les rapports entre ville et campagne, c’est-à-dire, à bien des égards, entre tradition et modernité, ces inventions paysagères vont apporter une contribution majeure à la construction des identités contemporaines, régionales le plus souvent, mais parfois aussi nationales. 16

L’espace des guides touristiques

  1. Le développement de la villégiature climatérique s’accompagne de l’apparition des premiers guides touristiques à destination des voyageurs et des hivernants. On recense pour la France près de 2000 publications de cette nature entre les seules années 1814-1848. Ces ouvrages constituent un genre littéraire innovant. Avec leurs notices artistiques et leurs renseignements pratiques, ils se présentent sous la forme d’une synthèse entre le récit de voyage intimiste, généralement rédigé sous forme de courrier, l'indicateur des routes destiné aux commerçants et les préoccupations médicales de la climatothérapie. A la différence de la littérature de voyage traditionnelle, ils proposent la vision d’un espace « organisé, quadrillé, mesuré, chronométré, tarifé ». 17 Ils se font en cela l’outil et le porte parole de l’homogénéisation qu’entraîne dans le même temps le développement des transports et de l’économie marchande. Leur principale originalité réside, de ce point de vue, dans leur aptitude à généraliser et à normaliser les expériences individuelles des voyageurs par l’établissement d’une liste organisée des éléments qui les composent. Ils donnent ainsi au lecteur des références conventionnelles et structurées, visant à le diriger dans l’élaboration de son propre périple. 18 Maximilien Misson fut le précurseur de cette véritable pédagogie de l’art de voyager, à laquelle il offre dès le XVIIe siècle un modèle canonique. Il invente notamment les étoiles, une pour « un pays médiocrement bon et beau », deux pour une « route meilleure et plus belle », trois pour un « pays extrêmement beau et fertile ». Une signalétique spécifique indique de même les « mauvais pays » et les « routes difficiles », ainsi que les « curiosités à voir », lesquelles font par ailleurs l’objet d’une liste détaillée. 19
  2. Au siècle suivant paraît le guide REICHARD, qui connaît une diffusion importante. Il se partage entre la description des hôtels, des prix et des itinéraires, et celle des données érudites, statistiques (poids et mesures) ou patrimoniales (curiosités antiques et artistiques). 20 Avec l’essor de l’encyclopédisme, des voyages statistiques ou pittoresques et surtout de la littérature climatérique, la multiplication de ces ouvrages va donner le jour à de vastes compilations érudites. Elles prennent leur forme définitive au milieu du XIXe siècle, dans le cadre de la villégiature. Leurs principaux représentants sont le MURRAY, le JOANNE, le BAEDECKER et par la suite le Guide Bleu. 21 A côté de ces entreprises éditoriales d’envergure internationale, on trouve aussi des centaines d’indicateurs à dimension locale ou régionale. Ces publications ont en commun, comme on l’a vu précédemment, leur institutionnalisation du renouvellement des centres d'intérêt traditionnels des voyageurs, amorcé au siècle précédent sous l’influence des Lumières. Leur impact est particulièrement sensible sur la Côte d’Azur. Les tourists qui se rendent jusqu’alors en Provence ne s’intéressent en effet qu’à l'Antiquité et aux monuments romains, du Pont du Gard aux lieux marqués par le souvenir de Laure et de Pétrarque, en passant par les cabinets de curiosités et de médailles. Ils visitent aussi les ports et les fortifications de la région, ainsi que quelques sites naturels pittoresques, comme la Fontaine de Vaucluse ou les paysages exotiques de Hyères, de Nice, de San Remo ou de Finale. Les ouvrages du siècle suivant attestent d’évolutions significatives. Si le goût des touristes pour l'histoire demeure une constante, il s’élargit à présent au Moyen Age et aux traces de la légende napoléonienne. 22
  3. Les préoccupations naturalistes de la climatothérapie contribuent par ailleurs à enrichir les traditionnelles descriptions historiques et monumentales de longs chapitres consacrés à la géologie, l'orographie, la végétation, la population et le climat. La première édition azuréenne des guides Murray se compose ainsi de publicités, d’informations générales, de la liste des hôtels, des routes, des douanes ou des services offerts aux voyageurs (consulats, bibliothèques, adresses de collectionneurs ou d'érudits), d’une bibliographie et d’informations relatives au gouvernement, à la population, l'économie, les langues, les arts, la littérature et la flore exotique. 23 Ce type d’ouvrage va se multiplier grâce à la riche production littéraire et scientifique redevable aux synergies créées entre les voyageurs savants et l’élite locale. Ces collaborations dépassent par leur ampleur le simple cadre du loisir érudit, destiné à agrémenter les longues journées de la villégiature. Elles présentent aussi une réelle originalité, par le souci de la mise en scène qui les accompagne. Cette dimension ostentatoire constitue la caractéristique essentielle des politiques actuelles du patrimoine. Le tourisme n’est pas seulement à l’origine de ces pratiques: il a conduit à leur généralisation à tous les domaines de la vie sociale. Pour mieux comprendre ce phénomène, qui déborde de ce que l’on qualifie généralement d’élargissement du patrimoine, il faut s’attacher à l’histoire du tourisme érudit et de ses influences. Le tourisme accompagnera ainsi la longue histoire des conquêtes impulsées par l'expansion de la société industrielle, au travers de sa participation à l'homogénéisation de l'espace entraînée dans le même temps par le développement des transports.

 

2. OSTENTATION

Espace vécu versus espace perçu

  1. Les pratiques de l’ostentation mises en œuvre dans le cadre du tour allaient exercer une influence qui déborde largement des seules politiques patrimoniales. Leurs premières manifestations relèvent de l'esthétique classique du paysage, avec la représentation systématique des ruines des monuments antiques. Portiques, colonnes, chapiteaux brisés ou temples détruits, se doivent dès lors d’animer tout bon paysage italien. Elles vont toutefois prendre une forme nouvelle, et moins connue, avec le développement des jardins d’agréments de la villégiature, source de l’imagerie exotisante qui fonde encore le tourisme moderne et ses réalisations. Les infrastructures de loisirs qui lui ont succédé ont achevé à présent de transformer le littoral, la montagne et la campagne de nombreux pays, mais aussi les centres et les périphéries de nos villes, en de vastes « terrains de jeux » qui en sont le moderne avatar. Si l’on veut comprendre la pérennité et l’impact du tourisme, il faut s’attacher à la genèse du concept de climat. Cette notion médicale est en effet l’héritière d’une longue tradition, qui remonte aux premiers développements du tour.

De l’agronomie à l’hygiénisme

  1. Concernant à la fois les sciences, la littérature et les arts, un nouveau regard porté sur l’espace vécu va marquer durablement l’’histoire de nos sociétés sous l’influence du climatisme. Il préfigure la vaste entreprise de mise en scène qui a conduit à qualifier les sociétés modernes de « sociétés du spectacle », une mise en scène dont l’influence ne cesse de grandir de nos jours dans les définitions des appartenances et des identités. La notion de climat prend ses sources dans l’idée de nature, dont les prémices apparaissent dès la fin du moyen-âge, avec la littérature courtoise et ses descriptions de jardins et de vergers. En faisant de la campagne le cadre de prédilection de leurs scènes amoureuses, les troubadours annoncent l’apparition d'un thème que le romantisme va populariser par la suite. 24 Cet intérêt porté au monde rural rencontre à la même époque les préoccupations de la peinture paysagère et de l’agronomie. Un profond renouveau des représentations du monde prend alors forme, lequel va toutefois s’avérer particulièrement long et difficile. La cosmologie chrétienne repose en effet sur le postulat biblique qui place l’homme au centre de la création, ordonnant de ce point de vue l’ensemble de l’univers au travers de la théorie des analogies et des correspondances. Les premières ruptures vont consister à envisager le monde comme un « spectacle » extérieur à l’homme, c’est-à-dire comme une réalité en soi, susceptible donc de devenir un « objet » de science, de littérature ou de peinture. Ces conceptions continuent cependant de relever d’une vision anthropocentrique, l’érection de la nature en spectacle n’ayant de sens que par l’existence d’un observateur privilégié. Comme l’exprime avec concision la formule contemporaine de l’abbé Pluche, « la Providence a rendu l’air invisible pour nous permettre le spectacle de la nature ». 25
  2. L'émergence du sentiment de nature reçoit une impulsion décisive au cours du XVIIe siècle, avec l’apparition de l'agronomie et son impact dans l’élargissement de l’horizon des voyageurs à l’époque des Lumières. Les ouvrages de ses précurseurs, comme le Théâtre d'agriculture d'Olivier de Serres ou le Traité d'économie politique de Montchrétien, restent cependant consacrés à une campagne humanisée. L'homme continue d’occuper la place centrale, à l’image d’une nature-instrument déjà présente dans la Genèse et largement reprise par le christianisme. Ils contribuent toutefois à l’objectivation du monde qui va fonder la modernité. L’intérêt porté à l’agronomie atteint son paroxysme au cours du XVIIe siècle. Elle « est devenue l'objet d'une foule de livres, de recherches et d'expériences, [relève ainsi l’auteur d’une nouvelle traduction des Georgiques, ajoutant que] dans toutes les parties du royaume je vois s'élever des sociétés d'agriculture. » 26 Son impact s’étend alors de la littérature, avec les œuvres consacrées aux "saisons", aux "jardins", aux "fleurs", aux "oiseaux de la ferme" ou au "potager", à la multiplication des études naturalistes et des représentations paysagères. Cette effervescence créatrice n’est pas sans rapport avec les conceptions hygiénistes qu’élaborent alors les touristes éclairés et les voyageurs savants. On en retrouve un écho exemplaire chez Saint-Lambert, qui fait connaître en France le poète bucolique anglais Thomson. Il décrit ainsi la campagne dans des termes préromantiques, comme un état de nature peuplé d'âmes innocentes et pures, antidote à la corruption des mœurs due à la civilisation. Au delà d’une quête du paradis perdu, issue des réminiscences de la Genèse ou des valeurs chrétiennes attachées au travail des champs, l’idée de nature est en train de prendre sa forme moderne. Son élaboration définitive sera largement redevable des conceptions climatiques et des pratiques élaborées dans le cadre du tour.

Le tourisme et les sciences de la nature

  1. « Un Voyageur Philosophe réfléchit sur les différens Caractères des Hommes qu'il voit, qu'il fréquente, il examine la nature du Climat, la Température de l'Air, la Disposition des Rochers, des Montagnes » écrit, au début du XVIIIe siècle, l’un des tourists éclairés qui partagent les idées des Lumières.  Diderot affirme de même, à l’occasion d’un voyage en Hollande, qu’il faut « au voyageur une bonne teinture de mathématiques, des éléments de calcul, de géométrie, de mécanique, d'hydraulique, de physique expérimentale, d'histoire naturelle, de chimie, de dessin, de géographie et même un peu d'astronomie; ce qu'on a coutume de savoir à 22 ans quand on a reçu une éducation libérale. » L'éducation libérale à laquelle fait allusion Diderot,  27 déborde des seules idées des Lumières et des pratiques aristocratiques du tour auxquelles elle fait référence. Elle permet en effet d’associer les voyageurs à l’œuvre collective de la science, en leur proposant de recueillir des données relatives à la géographie, à l'histoire naturelle et aux sociétés humaines. En Angleterre, les Profitables Instructions, describing what Special Observations are to be taken by Travellers in all Nations donnent ainsi, dès 1633, une liste détaillée d'observations à l‘usage des voyageurs. Elles vont de la description du relief, des pays voisins, de la fertilité du sol, de la mer et des qualités des ports, des montagnes, des côtes, forêts, marais, agriculture, à celle des gouvernements et des universités. La Royal Society publie à son tour, en 1665, des Directions for Sea Men, Bound for Far Voyages.
  2. Elles sont destinées dans un esprit voisin aux officiers de marine désireux de participer à la collecte de données scientifiques. Ils doivent pour cela tenir un Register of Wind and Weather, dont on peut reconnaître sans grande difficulté la parenté avec les futurs ouvrages de "climatothérapie". 28 L’envergure et le caractère systématique des recherches d’agronomie, de géographie, d’histoire naturelle ou d’ethnographie issues des récits de voyage, témoignent du rôle que vont jouer dès lors les voyageurs dans le développement des sciences de l’homme et de la nature. 29 En ce qui concerne la naissance du sentiment de nature, ces influences ont généralement été éclipsées par l’œuvre contemporaine de Rousseau et par l’émergence du romantisme. Comme le relève cependant un contemporain averti : « C’est depuis que M. de Buffon a remué toutes les têtes de l’Europe, par la fierté de ses pinceaux et par ses grands systèmes sur les révolutions successives du globe que tout le monde a étudié ou voulu connaître tout ce que la nature offre de grand ou de terrible. C’est depuis ce temps là que l’Etna est devenu une décoration pour la Sicile, le Vésuve pour l’Italie, les Alpes pour la Suisse; que des esprits cultivés et hardis ont été à la découverte de vos montagnes de glace, de vos rochers, de vos lacs, de vos cascades, de vos torrents. » 30
  3. On s’accorde aujourd’hui à reconnaître la place occupée par l’Histoire Naturelle et Théorie de la Terre de Buffon dans le développement des sciences. 31 Tout en fractionnant ses domaines et en ignorant les perspectives totalisantes, la conception qu’il défend est fédérative. Elle rejoint fort curieusement les préoccupations des voyageurs "éclairés" et des simples tourists,, auxquels elle permet de contribuer, en dilettante, à une œuvre collective. La minéralogie, la botanique, l'ornithologie et l'entomologie sont plus particulièrement à leur portée. Outre le fait qu’elles se prêtent à l'observation directe, elles présentent de plus l’avantage d’allier au souci scientifique l'intérêt pictural et exotique. Dès le début du XVIIIe siècle, l'aristocratie anglaise, rapidement imitée par le clergé et les classes moyennes, va ainsi se prendre de passion pour la collecte des objets de la nature. Le goût du savoir et le souci d'enrichir une collection stimulent les voyageurs et les touristes, tout autant que la perspective d’une éventuelle découverte scientifique ou esthétique. Le mouvement s’étend rapidement à toute l'Europe, qui voit proliférer les cabinets de physique, de chimie ou d'histoire naturelle, ainsi que les premières sociétés savantes dont l’impact se révélera déterminant dans la genèse des identités régionales et nationales. Avec l’essor de la littérature de voyage et de la climatothérapie, les descriptions érudites vont dès lors connaître d’importants développements. Ces travaux d'amateurs seront parfois même à l'origine de certaines disciplines, comme la géologie ou la botanique. 32

Ruines et jardins

  1. Les recherches naturalistes impulsées par les voyageurs vont rapidement imposer, par leur dimension pragmatique et empirique, l'idée d'une nature extérieure à l'homme, fondant ainsi l'objectivité qui préside à la démarche scientifique. Elles conduiront, comme on l’a déjà rapporté à propos de l’histoire de la montagne, au "désenchantement" d’un monde habité par les survivances d'une « pensée magique », reposant sur la solidarité de l'homme et de l'univers physique. La nature devient à présent un "objet", de conquête, de science, de loisir ou de rêverie, une entreprise à laquelle le tourisme offre un cadre particulièrement approprié. S’il participe activement à ce "désenchantement" du monde, le tourisme travaille dans le même temps à son "ré-enchantement". La fascination exercée par les paysages de la montagne, qui deviennent le terrain d'aventure privilégié de la modernité, atteste exemplairement du caractère ambivalent de ses préoccupations. Il en va de même des préoccupations sanitaires de la littérature climatique, notamment au travers de l’imagerie paradisiaque qu’elle élabore du monde méditerranéen. Les touristes partagent en fait, avec les penseurs de la Renaissance, des Lumières ou de la tradition encyclopédique, un même souci consistant à faire coexister la critique des mythes et la réintroduction du merveilleux. Il est particulièrement illustré par la vaste entreprise de réinterprétation des anciennes frontières de la "géographie mythique" chrétienne, la mer et la montagne, impulsée par la climatothérapie. Toutefois, le tourisme n’est pas une entreprise scientifique. Les nouveaux développements que l’idée de nature va connaître sous son influence, relèvent avant tout des réalisations paysagères de la villégiature, dont le jardin d’agrément constitue le prototype.
  2.  « Les débris des monuments  […/…] jettent l’âme dans une sorte de mélancolie qui n’est pas de la tristesse » estime DUCLOS, lors de son séjour italien. « Je vous salue, ruines solitaires, tombeaux saints, murs silencieux  […/…] Mon cœur trouve à vous contempler le charme de mille sentiments et de mille pensées » écrit de même Volney, dans des termes qui annoncent la naissance de l’un des thèmes majeurs du romantisme. « Les ruines où la nature combat l’art des hommes  […/…] montrent la vanité de nos travaux et la perpétuité des siens », rapporte de son côté l’un des maîtres à penser des romantiques, Bernardin de Saint-Pierre. Au siècle suivant, la représentation des ruines devient un élément incontournable du voyage pittoresque, comme le rapporte alors Chateaubriand jugeant que « les ruines, considérées sous le rapport du paysage, sont plus pittoresques dans un tableau que le monument frais et entier ».  33 Cet engouement est largement redevable de l’essor de la villégiature et des innovations architecturales de l’urbanisme de stations. Accompagnés de toute la flore des cimetières, ifs, sapins et cyprès ou de murs crevassés et couverts de mousse, les urnes et les tombeaux sont en effet devenus les éléments essentiels de l’art du jardin d’agrément. La ‘templomanie’ va dès lors s’étendre au moyen-âge, mis à la mode sous la dénomination de gothique à l’instigation de Walter SCOTT, de LAMARTINE ou encore de Victor Hugo qui l'exalte dans Notre-Dame de Paris. Dans les jardins des villégiatures, les ruines religieuses, abbayes, chapelles et cloîtres, de préférence délabrées et envahies par la végétation, viennent dès lors concurrencer les architectures inspirées de l'Antiquité. 34 Les pratiques paysagères de la villégiature apportent ainsi, par leur caractère ostentatoire marqué, une contribution majeure et méconnue à la naissance de la notion moderne de patrimoine.

Folies et "fabriques" : aux sources du patrimoine

  1. « Plusieurs Anglais tâchent de donner [à leurs jardins] un air qu'ils appellent en leur langue romantic, c'est à dire à peu près pittoresque » nous apprend l'Abbé Le Blanc, à l'époque où le continent découvre et adopte ces pratiques. 35 L’originalité des jardins anglais réside en fait dans leur souci affiché de réhabiliter la nature « sauvage ». Leurs auteurs récusent ainsi la tradition de la taille des arbres, afin de laisser libre cours à une végétation plus proche de son état originel. Malgré les prétentions de leurs promoteurs, ces jardins sont cependant aux antipodes d’une simple reproduction de la nature. Ils font au contraire appel à des procédés scénographiques très élaborés, reposant sur la prolifération de collines artificielles, de faux rochers, de grottes, de cascades, de ponts, de kiosques, de temples ou de fausses ruines. On va dans le même esprit jusqu’à planter des arbres morts !  36 Cette omniprésence de la mise en scène doit beaucoup aux développements de la peinture de paysage. Elle s'apparente en effet à une succession de tableaux, inspirés par les grands maîtres de l’art paysager. On se rend d’ailleurs dans ces parcs pour s'exercer à l'art pictural. Le paysage n'existant, selon les peintres, qu'en fonction du regard de l'observateur, on a ainsi aménagé des points de vue panoramiques et organisé de manière plus ou moins systématique, ou du moins suggéré, des parcours. Le goût de l'exotisme constitue l'une des principales caractéristiques de ces promenades paysagères. Tout au long de leurs itinéraires « pittoresques », se succèdent ainsi des mises en scène agrémentées d'architectures très typées, les folies ou fabriques, installées dans un cadre naturel exotisant. Une véritable mode orientalisante multiplie notamment les pagodes chinoises, les kiosques turcs ou les villages tartares. Emprunté à la peinture, le terme de fabrique désigne, selon l'Encyclopédie, « tout bâtiment dont la peinture offre une représentation », c'est à dire à l’origine les ruines antiques figurées dans les paysages italiens, puis par extension « toute construction élevée dans un jardin dans un but ornemental ou pittoresque. »
  2. Son équivalent anglais de folies le supplante rapidement en introduisant une connotation d'extravagance et de démesure. Les catalogues des paysagistes anglais proposent en effet plus d'une trentaine d'éléments architecturaux relevant de cette dénomination : kiosques, laiteries, fermettes, tombes, pergola et tonnelles, rochers, tentes, arches, maisons de banquets, pavillons de bains ou de bateaux, ponts, rivières, cascades, pagodes, églises ou chapelles, colonnes, ruines, grottes, ermitages, loges, mausolées, monuments, obélisques, pyramides, orangeraies, roseraies, rotondes, bancs, pavillons, temples, tours, chaumières ou glacières. 37 On recrée de cette manière, dans un espace réduit, toute la variété des paysages du monde, selon l’expression inspirée du peintre CARMONTELLE, le créateur du Parc Monceau, avouant son souci de réunir en un seul endroit « tous les temps et tous les lieux ». 38 On va même jusqu’à construire des îles artificielles, abritant un simulacre de volcan qui crache des flammes !  39 Inspirés de préoccupations voisines, les jardins zoologiques qui voient alors le jour s’inscrivent dans une entreprise analogue de mise en scène ostentatoire du patrimoine naturel. Dans le microcosme du jardin, zoologique ou paysager, la géographie, l’histoire et les sciences de la nature fusionnent ainsi dans un souci érudit et identitaire d’illustration du génie des nations. Au XVIIIe siècle, le Prince de LIGNE va jusqu’à proposer, en s’inspirant de cet art des jardins, de rapporter la diversité des civilisations à une série d’archétypes basés sur le climat. 40 Grandement redevables des goûts nouveaux impulsés par les voyageurs et les adeptes du tourisme climatérique, ces mises en scène préfigurent la naissance de la notion moderne de patrimoine, même si le souci de l'ostentation l'emporte largement sur celui de la conservation. Cette distinction révèle la nature originale de l’institution touristique et permet de comprendre son impact sur le monde contemporain.

 

3. TOURISME ET SCIENCES SOCIALES

Civilisation des loisirs et société du spectacle

  1. On pourrait être enclin à penser que les dimensions artistiques et savantes du tourisme originel ont aujourd’hui disparu. Elles perdurent certes au travers du "tourisme culturel", des politiques du patrimoine ou des diverses formes de tourisme vert ou sportif. Mais que représentent-elles réellement dans la vaste entreprise mercantile de loisirs de masse que nous connaissons aujourd’hui ? La prédominance prise par l’image sur la réalité dans l’histoire contemporaine du tourisme, explique la nature de ces évolutions. Par sa nature ostentatoire, elle pose la question des relations qu’elle entretient avec l’émergence de la « société du spectacle » et de son corollaire, la « civilisation des loisirs ». La conquête du temps des loisirs entretient en effet d’étroites relations avec la mise en scène des lieux ludiques qui l’accompagne, laquelle permet sa réactualisation. Elle pose par là même la question des rapports entre le tourisme et le patrimoine autour de l’impact conjoint qu’ils exercent sur la définition des identités.

L’impact des voyages statistiques

  1. La littérature climatérique entretient des rapports étroits avec les développements contemporains des sciences sociales, qui voient le jour avec les études dites statistiques. Ces études trouvent leurs sources à la fois dans la littérature de voyage à l’usage des marchands, la presse périodique littéraire ou historique et les descriptions érudites des « états, empires et principautés du monde », plus particulièrement illustrées par les Petites Républiques et les Present States. Les ouvrages statistiques se présentent comme une synthèse de l’ensemble des connaissances tirées de l’étude du climat, des sols, de l’hydrographie, des ressources, de la population, de l’économie, des mentalités et des coutumes. Nécessitant le concours du botaniste, du géologue, du chimiste, du géomètre et du manufacturier, ils donnent rapidement lieu à de vastes investigations reposant sur des questionnaires spécialisés.
  2. Ces publications sont inaugurées, au cours du XVIIIe siècle, par des topographies médicales dont les préoccupations sont étonnamment proches de celles de la cliimatothérapie. Elles ont en effet pour but de mettre en parallèle le tempérament, la constitution et les maladies des habitants de chaque province avec la nature du sol et de son exploitation. Ces synergies s’expliquent par les acquis du mouvement encyclopédiste, lesquels avaient offert aux entreprises empiriques de collectes de savoirs initiées par les voyageurs un cadre organisé. La statistique se partage entre l’étude des causes dites objectives, c’est à dire matérielles (territoire et population), formelles (droits et coutumes) ou efficientes (administration et justice), et celles relevant des représentations. Les rubriques retenues englobent l’étude des sols et des eaux, de l’altitude et des vents dominants, du climat et des cultures, de l’alimentation et des types de maisons, ainsi que des manufactures, vêtements, outils ou maladies professionnelles.
  3. Ces enquêtes s’institutionnalisent sous la Révolution française. Elles comprennent alors une centaine de rubriques, pour moitié agricoles, le reste concernant les richesses minérales, la pêche, les sciences, les arts, les fabriques et les manufactures, le commerce, les finances et les domaines nationaux, ainsi que la population. Les données qui les composent sont collectées dans l’unité territoriale du département, qui prend fort curieusement pour critère la journée de cheval d’un voyageur. Sous l’Empire, le Bureau de la Statistique systématise ces recueils d’observations sur l’état général du pays, allant de la météorologie à l’agriculture, en passant par l’économie, le commerce, l’emploi, la population, la justice, la santé, l’enseignement et la littérature 41. Alors que le genre dépérit à la fin de cette période troublée, les Voyages statistiques trouvent dans la littérature touristique un regain d’intérêt, même si le récit de voyage intimiste, de type Journal ou Correspondance, redevient dans le même temps à la mode avec le goût romantique. L’influence de leurs riches illustrations est nettement perceptible dans la littérature pittoresque, contribuant notablement au renouvellement des représentations des paysages de la Méditerranée et de la montagne des Alpes impulsé par le tourisme naissant.
  4. Le Voyage aux Alpes Maritimes de FODERE atteste plus particulièrement de cette continuité. Ce médecin parisien, qui a pour élève et collaborateur le naturaliste niçois RISSO, rapporte ainsi avoir parcouru les Alpes du Sud, « voyageant sur ces pics élevés, entouré de l'atmosphère la plus pure, ayant à mes pieds toute la majesté de la nature, la tête occupée d'une mission qui me semblait devoir contribuer au bonheur d'un peuple pauvre; rêvant à la fois physique, opérations militaires, agriculture, industrie, médecine, civilisation. » 42 Au delà de son souci purement statistique, FODERE s’intéresse aussi aux cultures locales. Il s’interroge par exemple, à propos du pastoralisme et des routes de la transhumance, sur les savoirs dont les bergers lui semblent dépositaires en matière de zoologie, de botanique et d’astronomie. Les Voyages Statistiques contemporains de CHABROL DE VOLVIC 43 reposent sur un esprit similaire, illustré par les nombreuses contributions d'ingénieurs, de topographes, de fonctionnaires ou d'érudits locaux auxquelles ils font appel, contributions qui vont par la suite se pérenniser dans le cadre de la littérature climatérique.
  5. Les études statistiques ont pour principal objet d’informer les gouvernants sur l’état du pays. Elles se différencient en cela des guides touristiques qui vont leur succéder. Le Viaggio nella Liguria Marittima de 1834 de BERTOLOTTI, qui fait preuve d'une érudition historique étonnante, n’est ainsi malgré son intitulé qu’une commande publique de l'Etat de Savoie. 44 Il présente toutefois de profondes similitudes avec le Handbuch de NEIGEBAUR, un guide touristique publié en 1833, qui offre une description systématique des régions et les villes de l’Italie, leurs monuments et leurs chefs d’œuvre artistiques, les revues et les journaux, les transports et les routes, les températures et le climat. Il s’accompagne aussi d’une importante bibliographie (avec près de 150 titres) et surtout d’une liste très détaillée d’itinéraires thématiques. Ils sont destinés « au géologue, au botaniste, au zoologue, au touriste, au médecin, au militaire, à l’archéologue, au peintre, à l’historien, au politicien », ainsi qu’à « l’ami de la nature » et au « voyageur sentimental ». 45 Si l’on veut mieux comprendre la nature savante de ces préoccupations originelles du tourisme, il faut effectivement se tourner, comme nous y invite l’ouvrage de NEIGEBAUR, vers ses rapports aux évolutions contemporaines des sciences et notamment aux premiers développements de l’anthropologie.

Costumes et coutumes

  1. Issues du souci éducatif du tour, les préoccupations anthropologiques des voyageurs trouvent leurs sources dans l’élaboration de la notion de climat, comme le montre l’intérêt porté par les premiers touristes à l’étude de la nature, de la collecte de minéraux lors de leurs excursions alpestres à la description de la flore exotique du littoral méditerranéen. 46, puis par la suite l’élargissement et la diversification de leurs investigations, de la botanique à la zoologie 47, en passant par les descriptions orographiques, climatiques ou géologiques. 48 Les voyageurs azuréens se sont aussi livrés à de nombreuses études historiques, économiques et sociales qui s’apparentent, par bien des aspects, à l’essor contemporain de l’anthropologie culturelle. Cette dernière repose effectivement sur des conceptions analogues, auxquelles le concept très englobant de climat allait assurer une réelle unité par leur réunion dans les guides touristiques ou climatériques. La littérature touristique azuréenne est ainsi à l’origine d’un grand nombre de travaux présentant un réel caractère ethnographique. Il n’existait alors, en la matière, que le tout récent Recueil Général des modes d'habits des femmes des Etats de Sa Majesté le Roi de Sardaigne. Publié en 1780, il comprenait une quarantaine de tables illustrées.
  2. Avec ses recherches statistiques et ses remarques sur le costume niçois, MILLIN prolonge dans les années suivantes ce tout nouveau mouvement d’intérêt pour les coutumes locales. Ses travaux vont être développés par l’une des figures de la colonie touristique locale, le peintre romain BARBERI, au travers de ses représentations des costumes populaires du Comté de Nice 49. Venu à Nice pour un séjour de santé, après avoir étudié l’ornithologie de l’Amérique Latine, le miniaturiste français Adolphe DELATTRE publie à la même époque un ensemble de lithographies du costume niçois, accompagnées des premières études photographiques sur ce sujet. 50 Au delà de l’exotisme pittoresque des costumes, encore confondus avec les coutumes selon une tradition qui remonte au moyen-âge, les publications ultérieures des voyageurs érudits attestent d‘intérêts plus larges, dépassant le cadre réducteur du folklore. A la suite de DELATTRE, les photographes vont d’ailleurs rapidement prendre leur place en matière de costumes et de métiers, avec des productions généralement réalisées en studio, à l’attention des touristes. Les premières véritables descriptions ethnographiques de la société locale voient ainsi le jour dès le début du XIXe siècle, à l’occasion des voyages de l’Abbé Carlo AMORETTI 51, un pionnier du balnéarisme. Ce dernier a laissé de nombreux manuscrits, touchant à la fois à la botanique, à la géologie, à la zoologie, à l'agriculture, à l'histoire et à l'archéologie locale, dans une œuvre érudite agrémentée par ailleurs de poèmes galants.
  3. Sous l’impulsion des ouvrages de climatothérapie, les descriptions des coutumes et des dialectes deviennent dès lors une rubrique obligatoire des guides touristiques. Elles préfigurent les travaux anthropologiques plus systématiques initiés à la fin du XIXe siècle par Kalden, un voyageur allemand, qui décrit la Côte de Nice à La Spezia. Outre les classiques notices botaniques, historiques et climatiques, cet ouvrage renferme des informations relatives à la littérature, aux dialectes et au folklore, illustrées par des photographies d’une grande qualité. 52 Un touriste anglais publie à la même époque un ouvrage consacré à la société rurale de la région frontière, basé sur une étude des archives, des rencontres avec les autorités et des observations relatives aux métiers, aux coutumes, aux jeux et aux dialectes. 53 Un géologue britannique, le docteur Henry JOHNSTON LAVIS, s’installe en cette même fin de siècle à Beaulieu, après une carrière à l’Université de Naples. Lors des travaux d’aménagement de la station, il se livre à des fouilles archéologiques qui donnent naissance à un musée d’histoire locale. 54 Il s’agit là d’une innovation. Le premier musée régional, à vocation naturaliste et anthropologique a été fondé quelques années plus tôt par l’ancien pasteur de la colonie anglaise de Bordighera, Clarence Bicknell.
  4. Cet esprit éclectique s'intéresse à la fois à l'histoire naturelle, à l'archéologie, à la paléontologie et à l'anthropologie physique. Il découvre notamment le Val des Merveilles, le plus important site de gravures rupestres en Europe, auquel il consacre une grande partie de sa vie. Ce touriste érudit reçoit beaucoup dans le chalet où il passe plus de dix étés à réaliser quelque sept mille relevés. Il travaille aussi à l’étude de la flore locale, avec la collaboration du botaniste anglais MOGGRIDGE et du naturaliste prussien DIECK, un proche parent de Bismarck. A sa mort, Bicknell fait don de son musée-bibliothèque à la ville de Bordighera, la communauté anglaise prenant en charge l'entretien des lieux. Son œuvre scientifique est poursuivie par sa fille Margaret, qui publie le premier ouvrage ethnographique consacré aux villages de la région, dans les années 1930. L'année suivante, le musée Bicknell devient le siège de la première société savante ligure, la Societa Archeologica Ingauna e Intemelia. 55 Un autre touriste a de même fondé, dès le début du siècle, la première revue savante de la Riviera, 56 tandis qu’un érudit allemand installé à Gènes a créé une revue de Correspondance astronomique, géographique, hydrographique et statistique, avec la participation de nombreux correspondants locaux. 57
  5. James Bruyn ANDREWS, un linguiste américain, s’installe vers 1870 en villégiature dans la station de Menton, pour des raisons de santé. Il s’y consacre à l’étude des coutumes, des traditions et des dialectes de la région. Le souci qu’il porte à comprendre la place occupée par ces dialectes entre les langues provençale et génoise rejoint de manière exemplaire les préoccupations identitaires des historiens niçois. Entre 1875 et 1894, il publie le résultat de ses recherches dans de nombreux ouvrages et revues. Il est notamment à l’origine de la première publication locale en langue dialectale, avec son Vocabulaire Français‑Mentonnais et son Essai de grammaire du dialecte Mentonnais, lesquels demeurent des ouvrages de référence. ANDREWS collabore aussi à Romania et à la Revue des Traditions Populaires et publie encore un recueil de Contes Ligures, composé de proverbes, légendes, fables, formulettes, couturnes et superstitions locales. 58 Au début du XX° siècle, l'œuvre de l’archéologue français Théodore REINACH, membre de l’Institut, prolonge cette tradition d’érudition dans l’esprit des préoccupations nouvelles qui animent alors le tourisme azuréen. Elle rejoint en effet l’imagerie méditerranéenne à laquelle travaillent alors les maîtres de la peinture installés sur la Côte.
  6. Edifiée au cœur de la toute récente station climatérique de Beaulieu, sa reconstitution historique d’un palais de la Grèce antique, annonce l’émergence de soucis patrimoniaux d'une grande modernité. 59 Bien que s’inscrivant, en apparence, dans le cadre des pratiques ostentatoires impulsées par la villégiature, la Villa grecque de REINACH se démarque par sa dimension muséale affirmée, de l'ensemble des folies qui voient alors le jour sur la Côte d'Azur. En concrétisant l’inscription, dans le paysage azuréen, des recherches érudites impulsées par les développements du tourisme de stations, elle occupe en effet une position charnière, qui invite à se pencher plus largement sur la nature des relations du tourisme à l’histoire des pratiques du patrimoine. Ce type d’ouvrage va se multiplier grâce à la riche production littéraire et scientifique redevable aux synergies créées entre les voyageurs savants et l’élite locale. Ces collaborations dépassent par leur ampleur le simple cadre du loisir érudit, destiné à agrémenter les longues journées de la villégiature. Elles présentent aussi une réelle originalité, par le souci de la mise en scène qui les accompagne. Cette dimension ostentatoire constitue la caractéristique essentielle des politiques actuelles du patrimoine. Le tourisme n’est pas seulement à l’origine de ces pratiques: il a conduit à leur généralisation à tous les domaines de la vie sociale. Pour mieux comprendre ce phénomène, qui déborde de ce que l’on qualifie généralement d’élargissement du patrimoine, il faut s’attacher à l’histoire du tourisme érudit et de ses influences.

Tourisme et anthropologie

  1. L’apport majeur du tourisme réside, en matière de patrimoine, dans la remise en cause d’une vision de la culture dominée par les seuls chefs-d’œuvre de l’art. Son impact sur le monde contemporain se révèle plus particulièrement avec l’élargissement de la notion de patrimoine, 60 laquelle ne concernait originellement que les monuments historiques et les collections des musées. Il explique notamment l’intérêt que lui ont immédiatement porté les sciences de la nature et de l’environnement, avec l’émergence des notions de patrimoine génétique et naturel. Le caractère englobant que revêt à présent la notion de patrimoine trouve en effet ses origines dans les relations entretenues par les théorisations anthropo-géographiques issues des sciences sociales et les conceptions développées à la même époque par la littérature climato-thérapique. On a récemment proposé de voir dans le tourisme une version populaire de l’anthropologie. 61 La démarche et les motivations du touriste s’apparentent en effet, par bien des aspects, à celles de l’anthropologue. L’un de leurs points communs réside assurément dans la découverte d’autres cultures, pays ou civilisations. Les deux institutions remontent par ailleurs à une même époque, où il est fort difficile de distinguer leurs pratiques et leurs protagonistes. La réduction du tourisme à une vulgarisation de l’anthropologie se heurte toutefois, comme on vient de le voir, au caractère véritablement scientifique ou artistique des recherches et des travaux mis en oeuvre sous son impulsion. Cette dimension ressort plus particulièrement de la mise en parallèle de ses principales préoccupations avec celles qui animent les fondateurs des sciences modernes de l’homme et de la nature.
  2. Les sciences sociales partagent en effet avec le tourisme érudit les mêmes interrogations fondatrices. Elles tournent autour de la question des rapports entre nature et culture qui sont au centre des préoccupations de la littérature climatérique. Taine ne cherche ainsi, avec la notion de race, qu’à théoriser les rapports de l’homme au milieu et à l’histoire, dans la production religieuse, politique, intellectuelle et artistique. Karl Marx s’efforce de même de relier organisation sociale, modes de production et culture, autour du concept voisin d’infrastructure économique et sociale. Les géographes élaborent de leur côté la notion d’écosystème, laquelle va donner naissance à l’écologie et à l’anthropogéographie. On ne peut qu’être frappé par les similitudes entre ces modèles théoriques et l’élaboration à la même époque de la notion de climat, due aux promoteurs du tourisme thérapeutique. La géographie offre une illustration exemplaire de la réalité de ces synergies. Fortement institutionnalisée, elle a en effet été très tôt confrontée à la concurrence des pratiques de la géologie, de la zoologie, de la biologie, de la botanique, de la toponomastique ou de la statistique. Sous leur influence, relayée par l’essor du tourisme, elle a ainsi vu son objet d'études se réduire à une peau de chagrin. L’histoire a elle aussi été remise en cause, dans ses fondements, avec l'apparition de l'archéologie et de l'ethnologie, des disciplines tout autant redevables des développements contemporains du tour et des voyages. Le tourisme thérapeutique et la climatologie ont enfin largement empiété sur les domaines traditionnellement réservés à la médecine et aux sciences de la nature.
  3. Face à cette dilution irrésistible des savoirs issus de la tradition antique et médiévale, les premières réactions voient le jour avec l'œuvre d’Alexandre de HUMBOLT, qui propose une synthèse des composantes géologiques, climatiques, botaniques, zoologiques et humaines, autour des notions de climat et de paysage. 62 Ernst HAECKEL va par la suite, dans l’esprit de l'Origine des espèces de DARWIN, inventer l'écologie, originellement consacrée à l'analyse des relations entre les êtres vivants et leur milieu. 63 Elle prendra sa forme moderne avec un zoologiste darwinien, Moris WAGNER, et sa théorisation du rôle des migrations dans l’évolution des êtres vivants. Friedrich RATZEL va la développer, dans sa thèse consacrée à l’immigration chinoise en Californie. Les phénomènes migratoires lui apparaissent ainsi constitutifs de la nature humaine, et il propose de qualifier « d’anthropogéographie », l’étude de la répartition des hommes sur la terre. RATZEL s’attache pour cela à décrire les Etats et les Nations comme des organismes luttant pour leur survie, dans une optique darwinienne basée sur la sélection des espèces par le contrôle du territoire. 64

Tourisme et écologie

  1. Les voyageurs vont tout naturellement reprendre à leur compte ces réflexions nouvelles, qui rejoignent les notions de paysage, de nature et de climat auxquelles ils sont familiarisés depuis longtemps. Leur apport révèle l’originalité des savoirs développés par le tourisme, comme le montre l’intérêt porté aux préoccupations écologistes par les Touring Clubs naissants. La première assemblée des Syndicats d’Initiative, qui se déroule à Nice en 1907, s’attache ainsi à l’énumération des menaces que font peser les activités humaines sur l’une de ses destinations principales, la montagne. 65 Ses inquiétudes donnent le jour, dans les années suivantes, à la création des Parcs Nationaux. Elle s’inspire à la fois des réalisations qui se développent alors aux Etats Unis, avec le parc national de Yellowstone (Wyoming) créé en 1872,  et des pratiques de muséalisation de l’espace naturel inaugurées par la villégiature avec la vogue du jardin paysager. C'est dans le même esprit que la forêt de Fontainebleau, investie à la fin du XIX° siècle par les peintres de l'Ecole de Barbizon, voit la création de "réserves artistiques", destinées à préserver ces paysages où les artistes trouvaient leur inspiration. L'Union mondiale pour la nature (UICN) en fait son emblème en 1948. On est en droit de s’interroger, au-delà des politiques patrimoniales, sur la place que les références territoriales et paysagères issues de la villégiature continuent d’occuper dans la genèse des identités modernes. Les inventions paysagères du voyage aristocratique et du tourisme "thérapeutique" participent en effet d’un processus bien plus vaste.
  2. Parmi les nombreux éléments susceptibles de définir et de hiérarchiser l’expression des appartenances collectives, le paysage revêt une place essentielle par les références territoriales dont il est porteur. Ces influences révèlent l’originalité de la fonction sociale du tourisme dans le monde contemporain. Au delà d’une « civilisation des loisirs », qui lui est grandement redevable de ses principales institutions, le tourisme est ainsi à l’origine d’une « société du spectacle » dont il demeure l’un des principaux acteurs. Le tourisme a joué de ce point de vue un rôle majeur sur les perceptions de l’espace vécu qui président à l’émergence des identités modernes, notamment au travers de l’invention du paysage de la Côte d’Azur et de son impact sur les représentations exotiques du monde méditerranéen. Ses pratiques ont débouché de nos jours sur l’institutionnalisation d’un monde « organisé, quadrillé, mesuré, chronométré, tarifé » dont les guides avaient assuré l’élaboration. Si les voyageurs ont été les premiers à dénoncer les dangers et les méfaits du tourisme, ils ont paradoxalement permis son intégration à l’économie marchande. L’esprit qui animait les promoteurs de la villégiature conserve ainsi une réelle actualité, même si le tourisme ne prétend plus de nos jours guérir les maladies de la modernité. Il demeure en effet, au delà de ses ambiguïtés et de ses contradictions, l’un des rares espaces informels encore ouverts au dialogue des cultures et des civilisations, par l’attention qu’il porte aux fondements existentiels des identités, qu’il s’agisse de « climat », de « nature » ou de paysage », du fait de son aptitude à les mettre en scène dans un dialogue permanent.